L'auteur considère que "La Rencontre" est indispensable à l'homme :

• Parce qu'il naît prématuré et donc dépendant de son groupe social, il devient dès le départ un être de relations et d'émotions. 
  En fait "être, c'est dépendre des autres". "Si je suis durablement inachevé... il me faut apprendre des autres"

• Parce que la force de la libido (approche freudienne) nous pousse vers les autres.
  Nous sublimons tous nos refoulements dans la rencontre (comme nous pouvons le faire par ailleurs par exemple dans la création artistique). Le "Je" se construit progressivement par identifications et ruptures successives. Sans rencontrer les autres, il est impossible de devenir soi.
  Enfin, nous nous construisons peut être aussi à partir d'une histoire familiale conçue sur plusieurs générations dont nous héritons et qui imprime nos parcours. A ce titre, le poids de nos rencontres serait moins déterminant que l'héritage de ce schéma familial.

• Parce que rencontrer l'autre... c'est se rencontrer.
  La rencontre suppose la quête de l'altérité. La rencontre ne peut être réduite à "la relation" qui suppose quant à elle que l'autre se laisse assimiler par moi (la culture occidentale nous amène bien souvent à "coloniser l'autre plus qu'à le rencontrer ?".  « Le plus court chemin vers soi passe par les autres » Hegel.)
  On se nourrit de la différence avec les autres. Alain Badiou aura ainsi une jolie formule :  « en fait, se nourrir de l'autre, entretenir une relation, ne m'empêche en rien de m'étonner de son altérité et de faire patiemment le tour de sa différence».
  En synthèse, la rencontre vient nous faire espérer combler un manque initial que nous portons.. et même si les rencontres n'y parviennent jamais complètement, elles nous permettent de continuer à désirer, à aimer, à grandir...

Ceci posé... "Comment faciliter la rencontre ? Quelles dispositions prendre ?"

Pour l'auteur, plusieurs conditions vont déterminer la capacité à "rencontrer" l'autre.

1. S'autoriser à être troublé. Le "Je social" nous a invité à construire une forme de carapace protectrice, le "moi social" protège en fait le "moi profond", le "moi intime". La rencontre devient possible quand les défenses du Moi Social sont affaiblies et qu'une faille laisse passer les émotions d'un Moi Profond. La rencontre suppose une transgression ; s'il n'y a pas trouble, il n'y a pas "rencontre", mais simplement un "croisement". 
   
   
2. Etablir un sentiment de confiance qui fait que nous acceptons d'être emporté dans la relation à l'autre. Ce sentiment de confiance vient amortir et contrôler le trouble de la rencontre. Ce sentiment naît d'une impression de familiarité dans laquelle on voit l'autre qui comprend, partage, vit ou a vécu les mêmes émotions. 
   
   
3. Désirer explorer la singularité, l'étrangeté de l'autre ainsi que le monde dans lequel il vit. Ce monde de l'autre vient interroger le nôtre. Ce désir de mieux connaître l'ensemble du cadre social et émotionnel particulier de l'autre se développe dans la durée. Quant ce désir cesse... la rencontre s'épuise faute de surprise, d'enrichissement, de mystère. 
   
   
4. "Faire projet" avec l'autre... et ressentir la fécondité de la rencontre. "Avec l'autre... je peux ouvrir le champ des possibles... faire fructifier notre alliance (... faire un enfant / créer ensemble une entreprise / produire des créations artistiques...). En fait, les individualités sont "débordées" par la réalité de ce que la rencontre produit... et qui est plus grand que nous (se sentir libre et capable, se dépasser, changer, innover...). 
   
   
5. S'enrichir du point de vue de l'autre, pour ne pas voir le monde de façon unilatérale. Il y a réellement "rencontre" quand je peux voir le monde "aussi" au travers du regard de l'autre. Un couple "cohabite" quand chacun garde son regard initial sur le monde. Il y a rencontre quand je fais l'expérience de l'altérité et que, dès lors, je peux envisager le monde "aussi" à travers son prisme.
   L'amour, à ce titre, n'est en rien une fusion (ne plus faire qu'un... généralement quand l'un a absorbé l'autre !) mais un parcours où l'on cherche, dans le temps, à faire "le tour de sa différence".
   La fusion fait disparaître les différences, l'altérité. Elle intervient souvent quand l'une des deux personnes a consenti à la fusion, faute d'une estime de soi suffisante. 
   
   
6. Rencontrer le point de vue de l'autre... et faire évoluer le nôtre. Comment savoir où nous en sommes... qui nous sommes... sans la confrontation permanente à l'autre. C'est bien dans la contradiction que l'on peut initier une dynamique de progrès. La vraie "rencontre", c'est lorsque quelqu'un nous rend meilleur et donc nous permet d'évoluer progressivement.
   Notons, que cette confrontation, ici décrite comme heureuse et qui fait grandir, peut aussi "diminuer" la personne si le partenaire est "toxique" par exemple.
   
   
7. Se sentir moralement responsable de l'autre. Ne pas répondre aux sollicitations qui nous sont adressées, c'est parfois ne pas vouloir se sentir responsable moralement de l'autre et dès lors refuser (par exemple quand nous fuyons le regard du SDF...).
   La vulnérabilité de l'autre m'oblige. La politesse, si souvent moquée, c'est déjà prendre soin de l'autre, s'en sentir responsable.

Ce faisant, et en synthèse, trois attitudes générales semblent dynamiser la capacité à "rencontrer" :

• Sortir de chez soi et se mettre en mouvement
  C'est bien souvent à partir d'une période de rêverie, de production imaginaire, de solitude, de réflexion, voir d'analyse que le passage à l'acte s'opère et que la mise en mouvement s'effectue. Il faut que les rencontres soient l'aboutissement d'un travail de préparation, sans pour autant être "planifiées". La "gestion" de la rencontre ne doit pas primer sur "l'aventure" de la rencontre.

• Etre disponible sans attendre quelque chose de précis
  Dès lors que nos désirs sont trop précis, ils nous enferment et nous privent de saisir d'autres opportunités qui n'étaient pas initialement attendues.
  Par exemple : si les sites de rencontre ont l'intérêt de pouvoir nous propulser en dehors de nos cadres sociaux de référence, ils peuvent aussi, si l'on prend soin de ne pas trop préciser les critères attendus, laisser place à la surprise de rencontres différentes... "inespérées" au sens propre. Etre disponible, c'est rester "incertain" et "en éveil", attentif à ce qui peut potentiellement surprendre.

• Cesser de jouer un rôle social et exprimer, assumer ses fragilités
  En donnant à l'autre l'opportunité d'exprimer son empathie envers nous, nous favorisons une possible rencontre "baisser la garde, exprimer ses fragilités..." autorise l'autre à nous donner des forces, à nous apaiser. Ce qui nous interpelle chez l'autre, c'est en fait ce mélange de force et de vulnérabilité, c'est sa capacité à maîtriser la complexité, l'incertitude...

Ainsi, c'est bien autour de ces quelques principes que l'auteur entend dessiner une forme de philosophie positive de la rencontre et ainsi donner à réfléchir sur ce que sont nos postures habituelles dans un environnement souvent âpre où les repliements sur soi sont légion.

Comme précisé en préalable, nous verrons dans l'article (à venir) que si la "rencontre" peut produire de l'enrichissement personnel et aider à grandir positivement... la solitude, longtemps associée à une faiblesse, à un disfonctionnement, émerge aujourd'hui souvent comme une ressource, un espace de liberté, un espace créatif, un espace de résistance par rapport aux injonctions sociales. Ce sera l'objet du prochain article portant sur "l'histoire de la solitude".